La construction de la tour « Jeanne d’Arc » de La Chartre sur le loir replacée dans le contexte de la grande histoire de France.
A première vue le rapport entre notre ville et celle qu’on appelait la bonne Lorraine, parce que sujette d’un état relevant du Saint Empire Romain Germanique qui ne fut complètement rattaché à la France qu’il y a seulement 250 ans n’est nullement évident. Dans son équipée à travers la France ,depuis Vaucouleurs, ville frontière (où elle pénétra dans le royaume de France et reçut escorte et chevaux),Chinon,(où elle sut reconnaître le Dauphin), sainte Catherine de Fierbois (où elle trouva son épée enterrée dans le chœur de l’église ), Tours( où son armure fut fabriquée rue Colbert), la bataille de Patay, en pleine Beauce où elle vainquit les anglais, Orléans qu’elle délivra, Paris,Compiègne où elle fut capturée et Rouen où elle fut exécutée, on cherche vainement un rapport avec la vallée du Loir. Le seul serait peut-être, à moins que ce ne soit un justificatif après coup,un supposé passage à Lavardin.
Jeanne d’Arc est pourtant le symbole de la libération de la patrie. Malgré son procès en réhabilitation au XVème siècle, Jeanne d’Arc tombée peu à peu dans l’oubli n’a été « redécouverte » qu’au XIXème siècle et devint ,après l’humiliante défaite de 1871 et la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine,le symbole de la récupération des provinces perdues. Elle avait « bouté » les anglais hors de France. Invoquer son patronage, même si elle ne sera proclamée « sainte » qu’en 1929, aller aider à bouter les prussiens hors des provinces annexées par l’empire allemand. L’école de Jules Ferry, soucieuse d’éveiller le sentiment national et de proposer des modèles de héros, parmi lesquels quelques rares figures féminines, à la jeunesse, a contribué à répandre ce mythe de Jeanne la libératrice à travers toute la France. Elle figurera en bonne place dans les manuels d’histoire même sous tendus d’anticléricalisme.
Les guerres de 1870 et de 1914 :
Après la capitulation générale des places fortes de l’Est à l’exception de Belfort,les armées prussiennes et celles des princes allemands alliés avaient comme objectif de déferler sur l’ensemble de la partie Ouest de la France. Ce qui restait de l’armée française, sous l’impulsion du général Chanzy, regroupée autour du Mans, dite armée de la Loire,avait pour mission d’arrêter coûte que coûte l’invasion ennemie,si possible dans la plaine de Beauce. Mais après la défaite de Patay, au lieu même où Jeanne d’Arc avait vaincu les Anglais, les armées prussiennes, bénéficiant d’un terrain où nul obstacle naturel ne les arrêtait, empruntèrent la vallée du Loir et ses environs pour tenter de rejoindre la Loire elle-même. Ce furent, entre autres, les terribles batailles, presque des massacres, de Chateaudun et de Fréteval .A la suite de ces déroutes, le dimanche 8 janvier 1871, les prussiens firent leur apparition à La Chartre sur le Loir et des combats eurent lieu à la Maladrerie. On comprend que la population de l’époque et leurs proches descendants en furent durablement marqués. Toute cette génération fut élevée dans le culte de la « revanche » et dans celui, autant religieux que laïc, de Jeanne d’Arc, sauveur de la patrie.
Très vite, l’idée s’ancra dans la population qu’une «bonne» guerre permettrait de reconquérir les territoires perdus «au-delà de la ligne bleue des Vosges».
Lorsque, début août 1914, la guerre fut déclarée, nul ne doutait que l’ennemi serait écrasé en quelques semaines. Or il n’en fut rien. Et les soldats français, qui étaient montés pour la plupart à pied en Belgique, très fatigués, mal commandés, après un mois de combat refluèrent en plus ou moins bon ordre, poursuivis par des troupes allemandes tout aussi fatiguées mais mieux organisées. Il apparut vite à quelques observateurs éclairés que le scénario de 1870 était en train de se répéter et qu’à la tournure que prenaient les évènements, le risque était grand de revoir des allemands sur les bords du Loir.
C’est à ce moment que, invoquant la figure de Jeanne d’Arc, des notables de la Chartre, «anciens survivants de la guerre de 1870-1871, promirent ,si cette fois-ci ,le pays était épargné,d’élever sur la butte de la Vierge (ou butte des châteaux),un monument qui fût un souvenir durable de la protection dont ils auraient été l’objet ».
Or, le haut commandement allemand, contrevenant aux ordres de l’empereur Guillaume II de marcher en premier lieu sur Paris, décida de contourner la ville par l’est. Profitant de cette erreur, le vieux général Galliéni, gouverneur militaire de Paris eut alors l’idée de réquisitionner l’ensemble des taxis automobiles de Paris pour transporter des soldats frais et disponibles afin de rejoindre à l’est nos soldats en déroute. Cet apport de troupes fraîches, pourtant numériquement peu significatif, eut un grand retentissement sur le moral de nos combattants qui cessèrent alors de se replier, passèrent à l’offensive et arrêtèrent l’avance des troupes allemandes. Ce fut la première victoire de la Marne.
Grâce à cette victoire les combats s’orientèrent vers le nord-ouest, de telle sorte que, lors de cette guerre et sur le seul plan géographique, le val du Loir et la ville de la Chartre furent épargnés. Rappelons que sur le plan des pertes humaines, comme l’attestent les monuments aux morts de nos villages, le bilan fut autrement lourd.
Fidèles à leur promesse, puisqu’ils avaient été exaucés les chartrains décidèrent d’élever le monument-souvenir « durable » sous la forme d’une tour de style moyen-âgeux surmontée de la statue dorée de Jeanne d’Arc qui se dresse encore sur la butte qui en a pris le nom.
Toutefois ; aujourd’hui, à l’encontre des vœux des promoteurs de ce monument,il serait vain de chercher à « percevoir la tour et sa statue à 20km à la ronde ».En effet ,les vignes qui poussaient au pied ont cédé la place à des arbres de grande hauteur,et c’est seulement en abordant la ville par l’avenue des Déportés que l’on peut apercevoir le monument dans son ensemble.